Ces vendredi et samedi Nawal et Les femmes de la lune de Chiconi se produiront à Dembéni et à Mamoudzou. Rencontre avec elles lors d'une soirée de répétition à Chiconi.
On la surnomme la voix des Comores. Elle, c'est Nawal Mlanao, l'enfant des Comores, la fille de bonne famille de Moroni. En une soirée de pleine lune, elle fait résonner sa voix à la fois grave et douce au coeur de Chiconi. Nous sommes à l'école maternelle de Scotram, dans une salle modeste, celle qui a joué jusqu'à Washington répète avec six femmes de l'association les Femmes de la lune. Il s'agit de se coordonner, "d'être en harmonie" comme elle le répète si souvent. Loin des querelles politiciennes d'uneMayotte comorienne ou française, Nawal, comme on l'appelle, dit se sentir chez elle ici. Assise sur un petit banc d'écolier, pieds nus, sarouel blanc, une longue tunique orangée et une sorte de bonnet qui ne couvre pas totalement ses cheveux, que l'on devine coupé courts. La chanteuse rappelle ces artistes, qui rien qu'à leur allure, émanent quelque chose de différent du commun des mortels.
Guitare à la main, elle regarde les Femmes de la lune au milieu de la salle. Ces dernières sont un peu dissipées, mais Nawal les rattrape. Et aussi surprenant qu'agréable à l'ouïe, elle chante du déba. Nawal s'attaque à un répertoire connu de ces femmes, avec une pratique particulière, acquise depuis des générations et des générations. Il n'est pas chose facile de gommer les habitudes. Elles font toutes parties d'un groupe de déba et elles ont acquis une chorégraphie et des intonations que Nawal corrige, parce qu'il s'agit d'être parfaites sur scène. Il s'agit d'être des professionnelles des chants soufis. La chanteuse est puriste et perfectionniste aussi.
Il faut créer quelque chose de nouveau à partir de ça"
Au contact des langues locales, les mots arabes ont été prononcés autrement. "C'est haqha, pas ahaha", tente-elle d'effacer vainement et avec sourire. "Bon si vous voulez, faites ahaha, mais au moins une fois donnez-lui son haqha". Cette insistance concerne un daïra que les femmes produiront. On ne change pas si facilement des siècles d'héritage. Autour de la chanteuse, sa fameuse gaboussa, une guitare, un tari (instrument d'origine iranienne utilisé lors des déba) etc.
Quand des siècles d'éducation coranique ont appris que la chanson était haram. Alors comment braver ces interdits religieux et chanter des textes coraniques sur scène accompagnés d'une guitare ? Les consciences de certaines se révoltent et se braquent. "Le hitima c'est trop coranique pour moi, explique Claudine. Il est difficile pour moi de chanter ça".
Pour Boueni-Marie : "C'est Koulhouwa allahou ahadou, pour moi c'est pour les morts, j'ai compris quand tu as dis que c'était pour rendre hommage à ceux qui sont morts au crash (de la Yéménia, ndlr) mais je ne peux pas chanter ça". Nawal, la croyante, qui chante "Allah ya Allah" avec une voix si envoutante, qu'on ose croire que la religion l'interdise, écoute les restrictions des deux femmes.
Et pourtant, on sent son amour pour Dieu et sa croyance dans le prophète Mohamed. Il suffit de l'écouter crier "ya Mohammad ya naby ya Allah, ya Rassoul". Prie-t-elle ? Chante-elle ? Invoque-t-elle ? D'ailleurs toute la chorégraphie est étudiée dans le but de transmettre cet hommage à Dieu, il faut que ça soit avec grâce et passion. "Il faut que le public applaudisse de lui-même". Elle ne perd pas une miette de ce qui se passe. La voix de Nawal prend par les trippes littéralement et des larmes montent aux yeux. Les îles de la lune ! Les différences politiques ont fait oublier l'existence physique de l'archipel des Comores et que parmi les points communs, il y a cet islam soufi, avec la pratique du déba, du daïra, du moulidi, du maoulida. "Je suis des zawiyas", confie Nawal, une cigarette entre les doigts. Elle les connait les confréries des daïras, parce que des membres de sa famille en font partie.
"On a une culture et il faut la sauver", implore-t-elle presque. Parce que ça va si vite et que dans quelques années, les déba et autres daïras ne seront que folkloriques et plus une pratique culturelle. La culture mahoraise, comorienne s'exprime donc sur scène et sur les scènes du monde entier par cette reprise, cette réappropriation de Nawal. "Pour moi c'est notre gospel. Il faut créer quelque chose de nouveau à partir de ça". En effet, comment ne pas penser au gospel quand on écoute et qu'on se laisse aller à bouger la tête, le corps et les pieds. On taperait presque des mains si ça n'interrompait pas la solennité de ce moment de travail.
Dans quelques jours, elles vont se produire à Dembéni et à Mamoudzou avant d'entamer une tournée à la Grande-Comore et à Zanzibar. Nawal est issue, on le devine, de la noblesse comorienne mais on devine aussi qu'elle s'est depuis longtemps déviée du chemin de la culture comorienne traditionnelle. Celle qui n'a ni enfant ni mari n'est pas une moina zidakani, une fille qui reste cloitrée à la maison jusqu'au mariage. C'est une artiste libre et sa pratique de la musique traduit cette liberté.
Kalathoumi Abdil-Hadi